Michel Bruley
Un jour Françoise R . avait dit un jour à Michel Bruley négociant en diamants.
« tu devrais nous raconter le négoce et ses relations avec la place Vendôme lorsque tu as commencé à travailler ? »
Michel Bruley était né dans l'Aube en 1933 et decedé à Fontenay-lès-Briis dans l'essonne le 22/10/2022
1965,
Dans ces années-là, il n’y avait, pratiquement, dans « le métier », que des Arméniens, des Juifs et des Jurassiens. Et moi !
Arméniens et Juifs, peuples ayant fui l’oppression, la haine, Jurassiens, peuple sédentaire, horloger puis tailleur de diamant l’hiver.
« société immobilière parisienne de la Perle et des Pierres Précieuses »Voir les annexes ci dessous
L’épicentre du négoce parisien se trouvait à la fois rue Cadet où il y avait 2 Clubs de diamantaires et dans des immeubles du trottoir Sud de la rue LaFayette, entre le numéro 8 et le numéro 74.
Pourquoi le trottoir Sud ? Pour bénéficier de la lumière froide du Nord et échapper ainsi aux rayons du soleil qui modifient la couleur des diamants.
La rue CADET était une petite rue parisienne, pleine de vie, aujourd’hui on dirait folklorique, avec ses marchandes de quatre saisons. Femmes souvent vêtues de noir, souvent grands-mères, elles offraient leurs marchandises sur des charrettes à bras. Marchandises qu’elles étaient allées chercher aux Halles potron minet.…….
Le négoce des diamants était très actif et très cloisonné. Les deux clubs de la rue Cadet avaient de nombreux membres, dire mille n’est pas exagéré. Tous ces gens, courtiers, petits patrons, essentiellement des hommes, étaient les fourmis qui alimentaient le réseau des bijoutiers détaillants et des fabricants de France et de Navarre en diamants et pierres de couleur, surtout en diamants.
Et puis, il y avait les Maisons, les diamantaires, les marchands de pierres de couleur et quelques Maisons de perles de culture.
Voici des noms de cette époque et on se félicitera d’en trouver quelques-uns d’actuels …
TENENHAUS, RUBEL, LACROIX, BLOCH, SIRAKIAN, KOIRAN, ESCHWEGE …
A cette époque, TelAviv découvrait à peine le diamant, New-York, c’était l’Amérique et Bombay vendait encore les parures de ses Maharadjas.
Tout le petit monde du négoce diamantaire parisien s’approvisionnait à ANVERS.
A ANVERS, où l’on rencontrait les diamantaires du monde entier car ANVERS était CAPITALE MONDIALE DU DIAMANT, appellation officielle.
Que l’on ne s’y trompe pas, cette appellation n’avait rien de folklorique,
ANVERS était le centre du monde … du diamant ! Le parcours du diamant était, en gros, Afrique du Sud, brut à Londres, et taille à Anvers.
Tous les diamants du monde, ou presque !
Les parisiens allaient à Anvers en train, avec un passeport car on allait à l’étranger, en Belgique * 3. Le train s’appelait le « TEE », pour Trans Europe Express *4. Dans un wagon de ce train il y avait un restaurant, un vrai restaurant avec des nappes blanches, de la vaisselle élégante, et une vraie cuisine avec de vrais cuisiniers exerçant leur talent dans le wagon d’à côté sur de vrais pianos à charbon.
On quittait Paris dans l’après-midi, on arrivait très tard à ANTWERPEN, en pays flamand.
Le lendemain matin le parisien se rendait à la BOURSE du diamant sur Pelikaanstraat * 5. La bourse était noire de monde, et le restaurant, casher.
Je vous précise cela car, aujourd’hui, à Anvers, signe des temps, il estplus facile de manger indien que de manger casher !
En ce temps-là, donc, le patron parisien arrivait généralement accompagné de ce que l’on appelait un associé. Associé ou pas son rôle consistait à établir le contact avec les courtiers locaux, à leur faire déballer les bonnes affaires et à mener les négociations, en yiddish, évidemment.
Moi, gamin, je me souviens avoir assisté à des empoignades mémorables, entre messieurs BLOEMHOF, SCHNEEBALD, ROSENBLATT, DICKSTEIN.
Souvent pour des queues de cerises. Ce sont ces gens qui m’ont appris à regarder et à comprendre le diamant.
A l’époque, pas de RAPAPORT, pas de GIA (1955) ni de HRD.
Pas même de lampe à diamants. Seules les immenses fenêtres de la Bourse, ouvertes sur la lumière froide du Nord, éclairaient les diamants. On ne travaillait qu’avec la loupe et le petit carton blanc. Accessoirement, on utilisait aussi un flacon d’alcool où l’on trempait le diamant qui se recouvrait alors de petites bulles de liquide qui, faisant loupe, permettaient de voir encore mieux à l’intérieur de la pierre. Le petit carton blanc et l’humidité de l’haleine servaient à déterminer la couleur, approximativement.
On ne disait pas « D », « E » ou « F », on disait CRYSTAL, WESSELTON, CAPE. On disait LOUPE CLEAN, PIQUÉ.
Nous avions, en France, une expression fourretout que l’on utilisait pour la marchandise moyenne, on disait « BLANC COMMERCIAL ». Et là, on avait tout dit !
On achetait.
La négociation se faisait en « Florins », Florin de bourse, monnaie fictive assise sur le Franc belge. Le paiement de tous les diamants du monde, s’effectuait donc en Francs belges. Le dollar américain n’est apparu dans nos échanges qu’au début des années 70.
Et la marchandise arrivait à Paris. Ah, ne me demandez pas comment, disons que je ne m’en souviens plus.
Oui, il faut dire que nous vivions encore avec les vieilles habitudes de la guerre. Moins on montrait, mieux cela allait. Et les relations du métier avec l’administration des Douanes étaient, disons, complexes. Genre chat et la souris !
La grosse plaisanterie d’alors consistait à dire que, contrairement à ce que certains pensaient, « T.V.A. » n’était pas l’acronyme d’une célèbrecompagnie d’aviation américaine (TWA) !
L’autre volet du négoce parisien c’était les marchands de pierres de couleur et les lapidaires. Avec, là encore, des Messieurs :
ROSENTHAL, GUERIN, NERSESSIAN, JOZ-ROLAND, GROSPIRON et d’autres que j’ai oubliés.
L’approvisionnement de Paris en pierres de couleur était, vu d’aujourd’hui, assez folklorique.
Il y avait, essentiellement, ce que l’on appelait des « consignataires ». Le consignataire avait des correspondants en Inde, à Ceylan, en Birmanie, correspondants qui envoyaient, par la poste, des marchandises incroyablement variées.
Ces fournisseurs n’étaient jamais venus à Paris, n’étaient d’ailleurs jamais sortis de leur pays mais ils envoyaient des pierres par la Poste !
En effet, très peu de gens voyageaient à cette époque, alors les courtiers parisiens assuraient le dispatching, prenant des marchandises au 2ème étage d’un immeuble pour aller les vendre au 5ème !
Les courtiers parisiens, les gens des clubs de la rue Cadet, intervenaient donc pour distribuer les pierres de couleur entre les négociants, les fabricants et les détaillants de toutes tailles.
Concernant les voyages, juste pour mémoire, je rappellerais que lorsque mon patron m’a envoyé pour la première fois à BKK, en 1976 je crois, il y avait au moins 4 escales. Parmi lesquelles Athènes, Tel Aviv, Téhéran, Karachi, Bombay …
Bien, nous avons donc accumulé des diamants et des pierres de couleur dans le négoce, qu’est-ce qu’on en fait maintenant ? Les maisons de négoce importantes, je travaillais dans l’une d’elles, avaient 4 débouchés principaux pour leurs marchandises, le négoce lui-même
et les marchands étrangers, très nombreux à cette époque, les fabricants de bijoux, puis la province et, bien sûr Paris !
Les nombreux fabricants de Paris et les très nombreux fabricants de Lyon utilisaient, pour leurs collections de bijoux fabriqués en France, beaucoup de diamants et de pierres de couleurs.
Les marchands étrangers, venaient principalement d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne, de Suisse.
Il y avait, à Paris, une très grosse activité européenne d’achat et de vente.
Par ailleurs, dans toutes les grandes villes de province il y avait quelques solides maisons de détail aux mains d’un homme, un personnage important dans la ville. Important du fait de sa relation particulière avec lesnotables argentés.
C’étaient, Monsieur PELLEGRIN à Marseille, Monsieur POUCHAIN à Arras, Monsieur Millau au Havre ,Monsieur BEAUMONT à Lyon, Monsieur DAGUZÉ à Nantes, etc, etc.
Ces gens vendaient leurs bijoux, soient créés par eux-mêmes en utilisant les pierres du négoce parisien et les artisans locaux, soit des bijoux prélevés dans les collections des très nombreux fabricants lyonnais et parisiens. Car, je le répète, les fabricants lyonnais et parisiens avaient des collections de bijoux français créés par eux-mêmes.
Et la place Vendôme dans tout ça ?
Là, je dois préciser car, en ce temps-là, on ne vous envoyait pas place Vendôme ou rue de la Paix avant que vous n’ayez au moins 4 ou 5 années
de métier.
Je parlerai donc plutôt de 1970 que de 1965.
A l’époque, la rue de la Paix et la place Vendôme n’étaient pas le PONTE VECCHIO qu’elles sont aujourd’hui.
Il y avait, pour autant que je me souvienne, sur le trottoir de droite en venant de l’Opéra, la Maison BRY, puis CARTIER, MELLERIO, MAPPIN & WEBB, et de l’autre côté, il y avait BOUCHERON, puis sur la place, VCA, MAUBOUSSIN et enfin, CHAUMET. Ajoutez quelques Maisons de bijoux anciens et c’était tout.
En fait, en 1965, je n’aurais rien eu à faire place Vendôme, vous allez voir pourquoi.
En effet, les Maisons n’avaient pratiquement pas de relation directe avec le négoce, elles avaient leurs courtiers souvent attitrés, des gens indépendants qui faisaient la navette entre le négoce et leur client de la place Vendôme.
Pour CHAUMET, il y avait, par exemple et entre autres, une Dame MEYER, BOUCHERON utilisait les services de Mademoiselle WEISSBUCH, Les ARPELS recevaient Madame LANVIN. En tout, une grosse vingtaine de personnes servaient ainsi la rue la Paix et la place Vendôme.
Le courtier, la courtière, présentait la marchandise qu’il avait reçue d’un négociant. Si le client voulait l’acheter, quelques allers et retours entre la place et la rue LaFayette permettaient un marchandage de bon aloi, et, finalement, le négociant facturait directement à la Maison.
Le courtier recevait une commission de part et d’autre et apportait d’autres marchandises.
Toutes ces personnes, souvent rescapées des années 40, étaient très âgées.
Dans le même temps, les patrons du négoce rajeunissaient un peu, ce qui fait que, finalement, les courtiers disparaissant, les négociants, soit se déplacèrent eux-mêmes, soit envoyèrent des collaborateurs « faire » la rue de la Paix et la place Vendôme.
Mais, situons d’abord les personnages.
Car c’étaient de véritables personnages, les Messieurs de la place Vendôme. Il y avait une grande stabilité dans les entreprises tant au niveau des personnels que des entreprises elles-mêmes.
BOUCHERON était Mr BOUCHERON, CHAUMET était Mr CHAUMET et ainsi de suite.
Sauf chez CARTIER.
Je ne suis pas historien, aussi vais-je manquer de rigueur dans les dates.Néanmoins, je dirais que la famille Cartier a disparu de chez CARTIER entre 65 et 70. Confiée à un Monsieur CALMETTE qui avait été mis en place par les familles CARTIER et CLAUDEL (les filles de Paul CLAUDEL) alors propriétaires de CARTIER.
La Maison est ensuite passée entre plusieurs mains dont celles,folkloriques, d’une bande d’individus propriétaires de boites de nuit en Floride !
La renaissance de CARTIER attendra la fin des années 70 avec l’arrivée, en provenance des briquets SILVER MATCH, de Monsieur Robert HOCQ et de son flamboyant Alain PERRIN qui deviendra Alain-Dominique plus tard
Dans l’immeuble suivant, les frères MELLERIO, Emile et Hubert, pas drôles-drôles mais visibles.
A l’angle de la rue des Capucines, la succursale parisienne d’une vieille maison anglaise, MAPPIN&WEBB, qui fût, plus tard, aux mains d’un directeur dynamique, monsieur MOREAU.
En traversant la rue, on pouvait, très exceptionnellement, rencontrer Monsieur BOUCHERON, le père d’Alain, ensuite, Messieurs ARPELS, visibles mais de loin, ensuite les frères GOULET, dont l’un s’appelait MAUBOUSSIN, sur la brèche, au contact, enfin les frères CHAUMET, invisibles.
La règle, à cette époque, dans toutes les Maisons de la place, était que les gens du négoce n’étaient reçus que le matin, mais tous les matins.
Et c’est un peu CARTIER qui ouvrait le bal, lorsque, sur le coup de 11 heures, un garçon de bureau, monsieur PAULAS, débloquait, rue de la Paix une petite porte aujourd’hui disparue.
Chez CARTIER, donc, tout était parfaitement réglé. La porte étant ouverte, nous montions un petit escalier et nous nous installions, en rang d’oignons, sur des chaises prévues à cet effet. Au bout d’un moment apparaissait notre interlocuteur, qui fût longtemps monsieur
GAUBE, Jean GAUDE DU GERS, pour être précis, sorte de gentleman désabusé, aimable et lent. Ce qui fait que, si l’on n’arrivait pas dans les premiers, on passait un long moment à attendre.
Parfois, une porte s’ouvrait sur le palier où nous attendions et apparaissait Mademoiselle Jeanne TOUSSAINT (1976) : « Bonjour Messieurs ». Garde à vous général : « Bonjour Mademoiselle ».
Nous savions à qui nous avions à faire !
Certains d’entre nous allaient ensuite dans la « souricière » de MELLERIO, attendre, encore, pour être reçus par Monsieur HUBERT, comme je l’ai dit, pas drôle-drôle, mais compétent et, finalement, sympathique.
Je ne résiste pas à la tentation de vous raconter une anecdote avec monsieur Hubert.
Un jour où je lui étalais mes connaissances en gemmologie et notant, pour une fois, l’intérêt qu’il y portait, je lui offrais, en détaillant le mode d’emploi, un filtre CHELSEA.
A quelques temps de là monsieur HUBERT s’intéressa puis, finalement acheta, un lot de jolies petites émeraudes bien brillantes. Fier comme tout, je rapportais au bureau la bonne nouvelle. Au bureau où un message m’attendait. Je devais retourner chez MELLERIO, ce que je fis dans l’heure.
Sur le bureau de monsieur HUBERT il y avait mon lot d’émeraudes éparpillées et le filtre CHELSEA.
- Vous m’avez bien dit que les émeraudes deviennent rouges lorsqu’on les regarde sous votre filtre …
- Absolument monsieur HUBERT, c’est une des façons de s’assurer que ce sont bien des émeraudes ! - Et bien regardez donc votre lot, il n’est pas rouge du tout, il est même plutôt gris !
Bon sang, il avait raison, les émeraudes étaient grises sous le filtre … Inquiet, très inquiet, je récupérais le lot d’émeraudes et filais directement au Laboratoire Français de Gemmologie où le directeur, monsieur Jean Paul POIROT, me reçut gentiment et immédiatement.
La preuve que j’avais encore des lacunes en gemmologie me fût administrée sur le champ !
Les émeraudes de Sibérie ne réagissent pas au filtre CHELSEA et restent inertes. Monsieur HUBERT, qui conserva le lot, et moi apprîmes quelque chose ce jour-là.
Chez BOUCHERON nous avions à faire à Monsieur Pierre ROBERT, le père de l’actuel Thierry. Monsieur ROBERT était un homme charmant, grand connaisseur des belles pierres, pas recroquevillé sur ses compétences et ses connaissances. J’apprenais lorsqu’il me montrait, lorsqu’il m’expliquait, son cahier d’écolier sur lequel étaient dessinées et répertoriées toutes les belles pierres qui lui passaient dans les mains.
Chez VAN CLEEF il y avait eu Monsieur Edmond MARENA, puis, plus tard, nous fûmes reçus par Monsieur Max PELLEGRIN. De vrais professionnels. Au loin, veillaient Messieurs ARPELS.
Chez MAUBOUSSIN, je l’ai dit, on voyait parfois les patrons eux-mêmes et surtout Jean GOULET-MAUBOUSSIN, le père d’Alain et de Patrick.
Accessoirement, Roger GOULET, frère de Jean, visiblement traité enportion congrue …
Chez CHAUMET, je n’ai pas une grosse expérience mais, néanmoins, j’ai bien connu Monsieur MATHIEU … L’affable Monsieur MATHIEU qui regardait toujours avec attention ce qu’on lui montrait, mais sans donner beaucoup de suite à nos entretiens …
Un peu plus loin, rue Royale, il y avait un autre « Monsieur », Monsieur FRED, le merveilleux Fred SAMUEL. Je précise parce qu’il y a parfois, comme ça, des gens qui ont traversé votre vie en laissant une trace différente.
Des gens qui vous ont aidé à grandir. C’était le cas de Monsieur FRED. Beaucoup d’années plus tard, dans une mondanité, je restais longtemps assis avec Monsieur FRED dans un petit salon à l’écart. Et alors que j’avais repris contact avec la foule, un confrère, plus jeune que moi, me dit, presque sur un ton de reproche : « Mais, qu’est-ce que tu fabriquais avec ce vieux bonhomme ? » Je lui répondis seulement : « C’était Monsieur FRED et je lui rendais un peu de qu’il m’a donné ! »
Nous visitions également la Maison BOIVIN, avenue de l’Opéra, qui, sous la direction de monsieur GIRARD et dans l’aura de ses créations passées renaissait avec les dessins de Caroline de BROSSES.
Que des hommes me direz-vous ! Il y avait également une Dame, place de la Trinité. Madame Suzanne BELPERRON, dont je me demandais pourquoi son magnifique vison était à l’intérieur de son imperméable !
Chaque Maison ignorait superbement les autres. On ne prononçait pas le mot « CARTIER » chez BOUCHERON, le mot « CHAUMET » chez VCA !
Mais, revenons-en à notre petit commerce. De Maison en Maison nous allions proposer nos pierres, quasiment tous les jours, comme je l’ai dit.
A cette époque, nous sommes donc au-delà de 1970, la pratique la plus courante était que les joaillers de la rue de la Paix et de la place Vendôme achetaient des pierres et demandaient ensuite à leurs créateurs de les enrichir d’une monture.
Pour nous différencier clairement d’aujourd’hui, au risque de heurter les gens du marketing, je dirais que le principal critère de sélection pour les pierres d’alors était « le charme ».
De toute façon, il n’y avait pas de certificat, donc rien à lire pour se donner des certitudes, simplement prendre la ou les pierres dans la main, pour s’éblouir des feux du diamant, s’émerveiller d’un rouge, plonger dans le bleu, ou bien sourire au vert tendre des émeraudes.
L’inclusion, la soie, n’avaient pas à disparaitre mais seulement se faire discrètes et elles devenaient alors acceptables, elles étaient plus considérées comme des signatures que comme des défauts.
Je vous propose une expérience. Vous achetez aujourd’hui, dans une vente publique, un très bel objet, bracelet ou collier ancien, bien coloré. Diamants, pierres de couleur et portant une belle signature.
Soyons fous, vous dépensez $.500 000.
Une fois chez vous, vous démontez toutes les pierres, diamants, rubis, émeraudes et saphirs.
Le lendemain, vous faites le tour des Maisons avec toutes vos pierres.
Et bien, pas une des Maisons de la place ne vous achètera la moindre de ces pierres ! Pas même les diamants.
Etrange, non ? Parce que vous avez tout de même dépensé $.500 000. Peut-être même n’avez-vous pas pu acquérir l’objet contre un acheteur trop fort, qui ne serait que la Maison dont le bracelet porte la signature. Pour son musée.
Etrange, non ? Cela m’amène à poser une question : Comment en sommes-nous arrivés aujourd’hui à cette folie qui veut que des pierres naturelles, des cristaux nés au coeur de la terre, soient exempts de toute trace de leur vie antérieure, soient exempts de toute trace des évènements qui ont accompagné leur naissance ?
Moi, j’ai une petite idée. En fait, il y a surement plusieurs raisons.
Dans les années 75/80, hormis la folie du « diamant-placement » dont je parlerai tout à l’heure, est apparue une clientèle nouvelle et très gourmande.
Je me souviens de la queue des Japonais devant chez CARTIER …Pas plus de 10 briquets par personne !
Exactement la même effervescence que devant LV, aux Champs Elysées aujourd’hui, où, parait-il, on vous accoste pour vous demander d’acheter en nombre, tel ou tel objet à l’intérieur …
Mais nos Japonais n’achetaient pas que des briquets. Dans la culture bijou du Japon il n’y avait pas de pierres précieuses. Aussi les Japonais, nouveaux voyageurs, se ruèrent-ils sur le diamant. La plus prestigieuse, sans doute, mais aussi la plus facile à comprendre des pierres précieuses.
Tant qu’il s’est agi de petites pierres on les vendait avec leur seule facture, mais les pierres plus importantes durent être accompagnées de certificats de gemmologie. En France les certificats existaient depuis bien longtemps, depuis 1929 exactement puisque nous avons le plus vieux laboratoire de gemmologie du monde, fondé en 1929 par le Syndicat des Diamantaires. Il s’agissait, à l’origine, de trier le vrai du faux et de séparer perles et perles de culture !
Dans les années 75/80, il existait deux types de certificats pour le diamant en France.
On peut, aujourd’hui, les trouver un peu « folkloriques », jugez-en : Il y avait un certificat « PUR 3fois » qui garantissait une pureté relative au grossissement 6 fois et un certificat « PUR 8fois » qui garantissait une pureté relative au grossissement 10 fois !
On ne parlait pas de la couleur du diamant, au moins en France. Pour les pierres de couleur, il s’agissait bien sûr de donner le nom de la pierre présentée au laboratoire mais surtout de faire la part du vrai et du faux.
Mais revenons à nos Japonais. Ce fût une vraie grosse clientèle qui commença donc par acheter des diamants et des briquets. Puis, ensuite, naturellement, des pierres de couleur. Et c’est là que les choses se gâtèrent. Car ils voulurent des pierres sans défaut visible, comme le diamant.
Ça vaut ce que ça vaut mais je suis sûr que ce fût un commencement. Dans le même temps, des pierres de couleur « nouvelles » apparurent sur le marché. Des pierres plus « propres », plus « brillantes ». Je me souviens parfaitement de saphirs d’un beau bleu sombre, exempts de soies, qui se faisaient appeler « nouveaux saphirs de Ceylan ».
Je me souviens aussi que nous étions très fiers, ici, à Paris de vendre parfois des vieux saphirs soyeux, culassés, à des gens de BKK qui commençaient à voyager…
A la fin des années 70, le laboratoire suisse GÛBELIN constata que certaines inclusions présentaient un aspect différent de celui qu’on leurconnaissait habituellement. Cela se traduisit d’abord par l’introduction
d’une nuance dans l’énoncé de l’origine géographique de la pierre.
Pour faire court, « ORIGIN CEYLAN » devint « IN OUR OPINION ORIGIN CEYLAN ».
Le marché finit par faire la différence jusqu’à ce qu’il apparut clairement, dans le courant des années 80 que la couleur de certaines pierres se trouvait modifiée en même temps que les inclusions. Finalement on parla de pierres chauffées et de pierres non-chauffées.
J’ai une illustration de ce propos :
En 1991, le tribunal me confia une expertise qui mit entre mes mains un important collier composé d’un ensemble de rubis entourés de diamants, collier fabriqué à NYC en 1985, signé d’une grande Maison. Comme cette affaire judicaire trouvait son origine dans l’apparition de pierres chauffées lors de l’examen au LFG avant la vente publique de l’objet à Paris (1991), je demandais au joaillier américain de me communiquer tous les documents ayant accompagné la fabrication du collier.
Et là, je constatais que, en 1985, le joaillier avait collecté un ensemble de rubis sur la place de NY et avait composé, en toute ignorance, son collier avec, à la fois, des rubis chauffés et d’autres, pas chauffés.
Cela aurait pu et a même dû se produire dans n’importe quelle Maison, évidemment.
Notre étonnement ne s’arrête pas là. En effet, les prix payés, je vous le rappelle, en 1985, par le joaillier, se tenaient pour toutes ces pierres
identiques, mais certaines pierres chauffées avaient été payées plus chères que d’autres non chauffées !
Bon, je ne peux pas arriver au bout de mon propos sans dire quelques mots de deux périodes qui chevauchent celles que nous venons de survoler et qui marquèrent profondément nos activités.
1975, 75/76, on va dire. Le franc fiche le camp, inflation officielle 13%, ce qui veut dire souvent plus de 15 dans le panier de la ménagère. La Bourse ne rassure personne. Les banquiers n’offrent rien sur rien.
L’inflation … Il faut trouver quelque chose !
Ce sont les banquiers qui réfléchissent et qui trouvent !
Certains, en effet, découvrent que le diamant, produit naturel rare, socialement incontournable, résiste plutôt bien à l’inflation, voire, s’en joue carrément.
Alors, pourquoi ne pas acheter aujourd’hui un diamant, le mettre dans un coffre, attendre que l’inflation érode consciencieusement la monnaie durant quelques années et ensuite réinjecter ledit diamant dans le circuit auquel il est destiné …la joaillerie.
Pratiquement toutes les banques ouvrirent, au moins en France, des officines spécialisées pour aider leurs clients en lutte contre l’inflation. Le discours était parfaitement rodé. La hausse régulière, du prix du diamant, sa rareté réelle, la quantité finie de diamants existant sur terre, son besoin de consommation sociale allant croissant, le diamant était une valeur sure.
Il me faut, pour dédouaner tout le monde, sauf les voyous, rappeler que la période était telle que tout est parti dans tous les sens. Les officines issues des banques, dans un esprit de diversité, vendirent, des forêts, des morceaux de forêts, des wagons, des morceaux de wagons, des oeuvres d’art, des morceaux d’oeuvres d’art etc, etc … Et tentèrent même de
vendre des morceaux de diamants ! … ?
Prévert était largement dépassé ! Nous courrions dans tous les sens pour trouver ces fameux diamants.
NYC, Tel-Aviv, Anvers et même Amsterdam où j’avais trouvé un filon. Pour vous faire l’histoire très courte, le problème vint de ce que le nombre de diamants vendus comme placement devint tel qu’il devenait illusoire de pouvoir un jour les réinjecter dans le circuit normal, celui de la joaillerie.
Alors la baudruche se dégonfla d’elle-même. Parti en 1975 de quelques milliers de dollars, le diamant de 1 carat atteignit 65 000 dollars en 1982. Puis, presque du jour au lendemain, il devint invendable et sa valeur se retrouva à quelques milliers de dollars.
Le sort des wagons ne fût pas meilleur car on avait souvent oublié d’intégrer dans les calculs le vieillissement accéléré du matériel …
Inutile de vous dire que tous les investisseurs en diamants s’en sortirent plutôt mal.
Pour ce qui concerne l’activité « placement » que nous avons menée en pierres de couleur il y eut certainement moins de gens déçus. D’abord parce qu’il y eut peu d’opérations placement en pierres de couleurs, les banquiers ne « comprenant » pas le produit par rapport au diamant où ils pensaient que la lecture du certificat les renseignait, les protégeait
suffisamment, ensuite parce que certains achats de très belles pierres de couleur se révélèrent un … excellent placement !
Une anecdote ?
Notre banquier habituel décroche un rendez-vous avec un client très important.
Je suis convoqué pour le briefing. Apparemment le sujet a déjà été débattu avec le client, c’est d’autant plus normal qu’un investissement en diamant a déjà été réalisé.
Frileux, le banquier me donne rendez-vous dans une brasserie quasiment une heure avant le rendez-vous. On ne s’attable pas, cela pourrait être trop long.
Comptoir, sandwich, bière. Imaginez la scène. Ces deux types au comptoir, quoi de plus banal ? Sauf que. Dans la poche gauche de ma veste j’ai un diamant parfait de 5 carats.
C’était la préconisation de la banque. Dans la poche droite de ma veste j’ai un exceptionnel saphir cabochon, le genre que l’on rencontre tous les 15 ans !
Diamant et saphir ont une valeur quasi identique.
Il ne faut pas une heure pour manger un sandwich. Aussi utilisais-je le temps du café pour expliquer au banquier que je me permettrais bien une suggestion. Le client ayant déjà des diamants, il serait judicieux de diversifier … et je raconte ce que j’ai dans les poches.
Je vais faire court. D’ailleurs la réponse fût courte : NIET !L’important client a donc acheté, fin 70, début 80 un magnifique diamant de 5 carats. J’espère que, depuis, il n’a pas cherché à le vendre. L’autre période, plus folklorique, dont je veux vous parler, qui s’étend à peu près de 86/88 à 1995 est celle où est apparu un client exceptionnel. Et quand je dis exceptionnel je ne me paye pas de mots.
Ce client a mis la place de Paris en ébullition durant plusieurs années.
Au début de l’apparition de ce client on disait « Sultan de Brunei », il s’est avéré qu’il s’agissait d’un frère du Sultan que l’on a appelé « Jeffrey ».
La manne est, en fait, principalement tombée sur la Maison MAUBOUSSIN d’alors car je crois que c’est un membre de son équipe qui avait déniché l’oiseau rare.
L’homme s’est particulièrement bien entendu avec Patrick MAUBOUSSIN.
Ce client a dépensé des dizaines et des dizaines de millions de dollars. Il y avait des périodes où tous les grands ateliers (il y en avait plus que maintenant) où tous les grands ateliers travaillaient pour lui.
Il a fait faire beaucoup de joaillerie mais aussi beaucoup d’objets parfois très importants qui allaient de la reproduction d’un tableau de Van Gogh à une scène érotique animée. Toujours, métaux précieux, pierres précieuses.
Patrick MAUBOUSSIN avait établi des relations exceptionnelles avec le personnage au point que le prince lui confia la réalisation de son palais dans l’immeuble IBM, à l’entrée Sud de la place Vendôme.
Je me souviens, un jour, Jeffrey avait annoncé son passage à Paris pour le WE.
Branle-bas de combat, chez MAUBOUSSIN, mais également chez les autres joailliers où le prince ne dédaignait pas de se montrer parfois.
Le Lundi suivant, ma tournée me conduisant place Vendôme, je posais la question indiscrète chez MAUBOUSSIN :
« Alors, il vous a encore dévalisés ? »
- Non, il n’a rien voulu voir cette fois…. Enfin, il a tout de même commandé un porte clé !
- Un porte clé, répétais-je, incrédule !
- Oui, tu veux le voir ?
Sans attendre la réponse mon interlocuteur sorti de la pièce pour revenir avec un projet de porte-clés. Un anneau, une chaine et au bout de la chaine, un diamant coussin d’une trentaine de carats.
Avant de vous quitter laissez-moi attirer votre attention sur le déroulement du temps……
Je viens de vous parler de la vie il y a cinquante ans …
Il y a cinquante ans il n’y avait certes pas internet, pas de téléphone portable, pratiquement pas de chômage, et 20 000 morts par an sur les routes de France.
Mais il y avait eau, gaz, électricité à tous les étages. On traversait l’Atlantique en avion à réaction, presque tout le monde avait sa petite auto, on partait à peu près 1 mois en vacances. Ce qui fait que si je vous transportais en 1965, vous pourriez vivre sans changer beaucoup de vos habitudes. Et l’homme de 1965 serait certes surpris par bon nombre de
choses d’aujourd’hui mais il pourrait, sans trop modifier ses habitudes, vivre en 2015.
Maintenant, faites un nouveau bond de 50 ans en arrière … 1965 -1915.
L’individu de 1965 aurait certainement beaucoup de mal à vivre en 1915 !
Conférence de Michel Bruley au laboratoire français de gemmologie : https://www.laboratoire-francais-gemmologie.fr/
A N N E X E S
« société immobilière parisienne de la Perle et des Pierres Précieuses »
Dans les années 1920, on assiste à une arrivée massive de juifs ashkénazes et d’arméniens dans le faubourg Montmartre. Les premiers fuient les pogroms en Europe centrale et en Russie, les seconds le génocide perpétré contre eux par l’Empire ottoman de 1915 à 1923. Plusieurs synagogues sont toujours présentes dans le quartier comme la synagogue de la rue Buffault ou celle de la rue Cadet.
Construit en 1926, l’immeuble Art déco de la rue Cadet abrite alors la « société immobilière parisienne de la Perle et des Pierres Précieuses » (le nom est gravé sur la façade) : c’est en fait la bourse des diamantaires où s’échangent et se négocient les diamants bruts.
Transactions dans les années 30
*3-26 mars 1995 – Mise en place de la libre circulation dans 7 pays. L'accord de Schengen prend effet dans 7 pays: la Belgique, la France, l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et l'Espagne. Les voyageurs peuvent se déplacer dans l'ensemble de ces pays sans contrôle des passeports aux frontières.
*4-Les Trans-Europ-Express (TEE) étaient des trains de voyageurs européens de prestige, rapides et exclusivement de 1re classe. Mis en service à partir du 2 juin 1957, ils ont peu à peu disparu à partir du milieu des années 1980, au profit de nouveaux trains InterCity (IC), EuroCity (EC) et des trains à grande vitesse.
* 5- Pelikaanstraat (rue Pelikan) et quartier des diamantaires, Anvers
Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, la Pelikaanstraat (rue Pelikan) est un centre commercial de diamants de renommée mondiale. La rue est également intéressante de par son architecture, dominée par des bâtiments pittoresques de style Art nouveau et éclectique.
Anvers est un centre du commerce du diamant depuis le XVe siècle. L'industrie a été transformée lorsque Lodewyk van Berken a inventé une nouvelle forme d'outil de polissage du diamant, le scaif, qui a permis la création du diamant stéréotypé étincelant et aux multiples facettes. Cela a attiré des commandes de la noblesse européenne et a attiré d'autres artisans à Anvers. Charles le Téméraire lui confia la tâche de tailler et de polir le diamant florentin. Dans les années 1890, une industrie du diamant a été créée à Anvers par des familles de commerçants et de fabricants de diamants venus d'Amsterdam. Le
Le quartier est dominé par des marchands juifs, indiens jaïns, maronites, chrétiens libanais et arméniens, connus sous le nom de diamantaires. Plus de 80 % de la population juive d'Anvers travaille dans le commerce du diamant ; Le yiddish était, historiquement, la langue principale de la bourse du diamant. Aucune activité n'est effectuée le samedi.
Le quartier des diamantaires est situé à côté de la gare centrale (Antwerp Centraal) et à quelques minutes à pied du Meir, la principale rue commerçante d'Anvers. Il existe de nombreux restaurants, bars et cafés variés dans le quartier.
Image gracieuseté de Wikimedia et Vasyatka1.
Ah!cher JeanJacques,quel historien,la mémoire du métier….et pour moi une plongée dans le passé,avec tous ces noms entendus chez mon père,et les plus proches comme Fred que j’aimais beaucoup et qui a rejoint Jacques ( Carcassonne )au tribunal de commerce et tant d’autres dont vous parlez dans ce bel article.Hélène Belinkof qui était le bras droit de Jacques me racontait la rue Drouot,la rue Cadet,les diamantaires qui échangeaient les diamants dans la rue,le petit restaurant où se retrouvaient tout le monde ,Anvers,et plein d’histoires amusantes.Malheureusement,elle n’est plus là pour me parler du métier et du passé.Merci,c’est aussi toute ma jeunesse !Toutes mes amitiés et bravo pour vos qualités de conteur.Monique
RépondreSupprimerDites moi si vous avez reçu….
RépondreSupprimer